Mme Aline se raconte

Il y a quelques années, j’ai rencontré madame Aline Giroux Fortier chez elle, ici à Sainte-Brigitte. Je voulais qu’elle me raconte un peu l’histoire de notre village et ce qu’elle y a vécu. Cette dame, aujourd’hui âgée de 91 ans, est née et a grandi à Sainte-Brigitte.. Elle y a travaillé, élevé sa famille et a continué d’œuvrer dans divers organismes. Elle est toujours parmi nous ici, chez elle. Lors de cette rencontre, madame Diane Clavet m’accompagnait. Ce sont deux bonnes complices et amies. Je lui ai demandé de nous raconter Sainte-Brigitte.

Aline est née en 1931. Ses parents étaient Joseph Giroux et Edwita Thomassin, fille de Théodore Thomassin sr.

Laissons-la nous raconter un peu car elle a une bonne mémoire...

« Dans ma jeunesse, on parlait surtout anglais à Sainte-Brigitte. Le dimanche sur le perron de l’église, les Français parlaient anglais, mais les Anglais ne parlaient pas français. Les gens travaillaient pour les Anglais. Les Irlandais habitaient surtout dans le bas de Sainte-Brigitte, secteur Moulin Vallière aujourd’hui, mais autrefois appelé Dawson town.

Le dimanche, pendant la messe, les gens laissaient leurs chevaux dans la grange chez madame Touchette (aujourd’hui les immeubles Chabot) et chez Siméon Thomassin de l’autre côté de la rue. Les préposés à la poste et à la voirie étaient choisis selon le parti qui gagnait les élections. L’hiver, chaque cultivateur devait entretenir son bout de chemin avec cheval et gratte de bois.

Dans les années 50, mon oncle, Camille Giroux, possédait une compagnie d’autobus. Ses autobus étaient de marque Prévost. Eh oui! dans ces années là, il y avait un service d’autobus qui nous conduisait au centre-ville de Québec : quatre autobus le matin, deux le midi, quatre pour le retour et une à onze heure le soir. Le service desservait, Sainte-Brigitte, Sainte-Thérèse de Lisieux, Saint-Michel et se rendait, jusqu’à la gare Saint-Rock.

Je me souviens qu’en 1938, tous les ponts ont été emportés par la crue des eaux.  Beaucoup d’orages et de vents. J’ai eu très peur. J’ai passé une nuit blanche.

L’électricité a été installée à Sainte-Brigitte en 1941 et je me souviens avoir vu les prisonniers de guerre allemands, avec des vêtements barrés noir et blanc. Ils creusaient pour l’installation des poteaux électriques.

Pendant la guerre, je me rappelle également avoir vu passer la délégation qui conduisait Winston Churchill au lac des Neiges. Il allait à la pêche au lac des ministres.

Je me souviens aussi des ¨charieux¨ qui transportaient le bois pour l’Anglo-Pulp. Ils voyagaient souvent de soir ou de nuit, car les chemins gelaient et les chevaux ne callaient pas. Ils étaient parfois 15 à 18 au clair de lune.

Il y avait à un certain moment, onze moulins à scie à Sainte-Brigitte. Ça engageait beaucoup de monde et  créait beaucoup de circulation.

Dans ma jeunesse, on ne voyageait pas. On restait tous dans notre patelin. Alors, on se mariait entre nous, parfois on épousait son cousin ou sa cousine.

Pour mes parents, l’instruction était primordiale.  Ils disaient que les garçons devaient s’instruire car ils devraient gagner la vie d’une famille plus tard. J’avais trois frères qui me suivaient de très près, donc leurs études coûtaient très chers, il ne restait plus d’argent pour moi. J’en ai été très déçue, mais je trouve qu’ils avaient raison.

Ma mère a enseigné à Rivière-aux-Pins (Valcartier) et à l’école  du Moulin Vallière. Le français était sacré chez nous. Nous n’avions pas droit aux fautes. Nous étions tous relativement instruits. J’ai même transcrit huit cent chansons tout en les écoutant.

J’ai enseigné pour remplacer les enseignantes  qui trouvaient Sainte-Brigitte trop loin et s’ennuyaient. L’une d’elles avait lâché en novembre, je l’ai remplaçée pour le reste de l’année scolaire.

On chauffait l’école, avec le bois donné par les cultivateurs pour payer leurs taxes. Du bois gelé qui sillait dans le poêle. J’avais un salaire de 90 $ par mois.  L’école commençait à 8 h et finissait à 3 h 30. Le midi les jeunes restaient à l’école.

La vieille école, coin avenue Sainte-Brigitte et rue Saint-Louis - Les élèves de Labranche faisaient la ronde durant la récréation, (1959).

Une autre époque

À l’époque, le pain de deux livres coûtait 16 cents. Les timbres 3 cents.

Pas question d’héritage pour les filles. Tout pour les garçons. Les terrains aux garçons et les héritages au plus jeune. Même si une fille avait sacrifié toute sa vie et demeurait le bâton de vieillesse de ses parents, elle ne recevait rien.

Si tu te mariais, tu ne pouvais plus enseigner, au cas où tu tomberais enceinte. Dans les années 50, la femme ne pouvait signer de chèque ou gérer de l’argent.

Pendant les Fêtes, oncles et tantes recevaient chacun leur tour. C’était toujours le même monde. L’été, il y avait plus de vie : les enterrements de vie de garçon, les soirées bien arrosées, les bagarres. La compétition entre Sainte-Brigitte et Sainte-Thérèse de Lisieux était féroce. Les gars essayaient de se voler les blondes.

J’ai connu mon mari Raymond Fortier, chez Boily. (salle de danse et restaurant qui se trouvait où se situe aujourd’hui la pharmacie).   Mon mari était bûcheron. Il a aussi travaillé comme menuisier. Ensuite, il a lancé sa propre entreprise, une quincaillerie de 1963 à 1982. J’étais responsable de la comptabilité et de la paye, tout en élevant mes sept enfants.

J’ai eu une belle vieillesse. Vingt-deux ans à chanter dans une chorale : deux périodes de 11 ans. Mon implication au journal Le Lavalois a duré 34 ans; je leur disais qu’ils étaient ma seconde famille tant je les ai aimés.

Aujourd’hui, j’attache moins d’importance aux bagatelles. J’aime l’avancement et je ne voudrais pas revenir en arrière. S’il y a un principe dans la vie que je trouve important, c’est la résilience. Cependant, la vie nous réserve souvent de belles surprises. J’en ai eu la preuve dernièrement quand M. Allen Dawson, président  de la Société d’histoire de Sainte-Brigitte a organisé une rencontre avec Mme Maude Langevin, propriétaire de l’ancienne école de Labranche où j’ai enseigné en 1950.

Le vieil escalier qui rappelle tant de souvenirs. -  Mme Maude Langevin, propriétaire actuelle de la vieille école

Visite de la vielle école de Labranche

Ouf ! Quels souvenirs ! Déjà en arrivant près de l’école, j’ai revu, en face, la maison de M. Pierre Simoneau, une petite épicerie et qui servait de  terminus d’autobus. La maison est telle qu’elle était mais a beaucoup vieilli bien sûr.

Avant d’entrer dans l’école, j’essayais de me figurer les lieux et ce qui est curieux, le souvenir le plus clair et net, c’était l’escalier pour monter au deuxième étage immédiatement à droite de la porte d’entrée. Eh bien ! il est encore là, le même escalier avec la peinture bleu délavé, le mur en bois embouveté, peinturé aussi, et la fenêtre à quatre carreaux égaux dont l’un ouvrait pour aérer. Imaginez l’effet après
72 ans, je revenais à mes vingt ans.

Le rez-de-chaussée a été aménagé, c’est très beau d’ailleurs, mais j’ai pu facilement voir où étaient les deux classes qu’il y avait jadis : la petite classe, soit préparatoire, première, deuxième et troisième années. La grande classe, quatrième, cinquième, sixième et septième années. J’enseignais à cette dernière. À noter que les profs avaient plusieurs divisions par classe et qu’on les appelait les « maîtresses d’école ».

Au deuxième, encore une surprise. Presque rien n’a changé. La moitié est encore la salle où était la cuisine sans les appareils ménagers, bien sûr, et les deux chambres sont encore là.  


L’autre institutrice, ma collèque, était Mlle Émilienne Vézina. Elle venait de l’Île-aux-Grues dans Montmagny. Fallait le faire, partir de si loin pour venir s’installer dans une petite paroisse comme la nôtre.

Autre chose qui m’est revenue à la mémoire, c’est qu’au printemps, le dégel transformait la route en une rivière de boue; alors je faisais le trajet à pied. Le lundi matin, je partais du centre du village où je demeurais pour me rendre sur la rue Labranche, à l’école et je redescendais le vendredi. Ceci durant trois semaines. Heureusement, on a eu l’asphalte en 1953, je crois.

Cette visite m’a surtout permis de connaître la propriétaire de l’école, Mme Maude Langevin qui nous a reçus M. Dawson et moi. Une grande dame, cultivée, souriante, très gentille. Elle semblait heureuse de m’offrir la chance de retrouver ces souvenirs. Merci encore à vous Mme Langevin et à M. Allen Dawson de la Société d’histoire de Sainte-Brigitte qui a eu cette brillante idée. »

Aline Fortier

Merci madame Aline pour votre beau témoignage de la vie lavaloise. Vous êtes une femme exceptionnelle, un exemple à suivre.

Allen Dawson,
président 418 825-3200

Société d’histoire de Sainte-Brigitte-de-Laval

Courriel : societehistoiresbdl@gmail.com
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