Les déplacements en qamutiq donnent une cadence particulière à nos journées. Dans le lointain, ils semblent glisser au-dessus de la neige comme portés par un mirage.

         Pour embarquer dans ce caisson, la technique est similaire à celle des plongeurs sous-marins. On s’assoit sur le bord et, à la renverse, on se laisse glisser à l’intérieur sur les matelas gonflables qui servent de banquette mais, rester assis on se priverait de la vue du paysage. Peu discipliné, ce traîneau ne suit pas toujours la motoneige comme le voudrait la logique et il n’est pas rare qu’il glisse aux cotés de celle-ci comme s’il voulait la dépasser ou prendre une autre voie. Cela se produit lorsque la motoneige change de direction ou doit faire un écart pour éviter un obstacle comme un bloc de neige. Plus délicat, c’est le franchissement d’une faille dans la glace. Le pilote doit s’assurer que le qamutiq est bien dans la ligne du skidoo. C’est là que l’on s’aperçoit de la dextérité du pilote car tout réside dans sa conduite. Après 40 mn de trajet sur la banquise, Don nous amène à un petit lac, une trouée dans la glace que domine un iceberg et qui s’agrandira chaque jour de fonte. Notre arrivée provoque un envol de kakawis et marmettes de Brünnich dérangés par le bruit des moteurs.

        Confortablement installés dans des sièges de toile, café et collation savoureuse à volonté, nous observons cette faune généreuse, au cœur d’un décor des plus grandioses. Qu’ils soient eiders à duvet ou à tête grise, marmettes de Brünnich, mouettes, huards à gorge rousse, kakawis, plectrophanes des neiges, phoques annelés, narvals, ours blancs, ils nous ont offert, dans cet environnement irréel de neige et de glace aux reflets turquoises, des journées d’observation passionnantes, enrichissantes et ont donné le rythme à la découverte de l’Arctique.

          Armé de son pic à glace, Don teste l’épaisseur et la solidité de la banquise en bordure de l’eau. L’endroit où il le plantera sera la limite à ne pas dépasser à moins de vouloir rejoindre les canards ! Malgré le bruit, quelques eiders sont restés à proximité et nous ravissent par leur beauté. Le plumage très coloré de l’eider à tête grise est un régal. Les pingouins reviennent petit à petit et durant 2 heures nous observons ces oiseaux qui s’ébattent dans une cacophonie incroyable. Chacun y allant de son cri, de son chant, de son battement d’ailes, de son plongeon ! Juste à nos pieds, quelques eiders à tête grise se hasardent à monter, bien maladroitement sur la glace, pour lisser leurs plumes et se reposer. Nous assistons alors à toute une séance de toilettage.

          De retour au camp vers 23 heures, nous regagnons nos tentes plongées dans l’ombre de la montagne derrière laquelle le soleil s’est glissé. La température est en baisse et un bon – 10o C se fait ressentir. Camper sur la banquise n’est pas aussi facile que camper dans le bois en été. Imaginez-vous rentrer dans une tente igloo, équipé comme un cosmonaute et chaussé d’une grosse paire de bottes d’hiver…!

         Je m’organise pour la nuit en veillant à ce que toutes les affaires soient au sec. Sophie m’ayant recommandé de mettre dans mon sac de couchage, pour la nuit, les chaussons des bottes, les batteries des appareils photos, les mitaines etc. «Si j’ai bien compris, Sophie, tout ce qui pose problème est à mettre dans le duvet !».  À essayer avant d’aller voir un psy, c’est moins coûteux ! Vêtue des sous-vêtements ultra chaud, bonnet, écharpe et chaussettes aux pieds, je me fraye un passage entre chaussons, batteries, lingettes et lotions. Tout en reprenant mon souffle, j’attends le sommeil dans ma tente encore inondée de clarté, des images plein la tête de cette première journée.      

           Nos itinéraires traversent souvent des secteurs où nombre de phoques se prélassent sur la banquise. Leur masse sombre les trahit de loin dans cette immensité immaculée. Curieux, ils se redressent, nous observent arriver. Farouches, ils disparaissent dans leur trou juste à notre approche. Parfois, lors des observations en bordure de l’eau, nous en surprenons un qui émerge et nage au beau milieu des canards.        

          Un legendaire mammifère marin est venu combler de bonheur le dernier jour d'observation sur une banquise qui s’égare un peu plus encore dans l’océan. Alors que nous scrutions les eaux marines et cherchions un signe de sa part sur l’horizon, le narval nous a surpris par son souffle à moins d’une encablure de notre position. Dépourvu de nageoire dorsale, le narval n’a cessé de frapper l’imaginaire avec cette longue défense torsadée qui le distingue de tous les cétacées et le rapproche de la mythique licorne. Des recherches ont démontré que cette dent était un organe de détection et qu’elle était flexible.

          L’Arctique, c’est l’émotion retrouvée ! C’est un frisson qui vous parcoure l’échine ! C'est un coeur battant la chamade lorsqu’à l’horizon se meut un point qui grossit lentement, lentement, puis disparaît dans les anfractuosités de la banquise pour réapparaître quelque part sur un promontoire de glace ! C’est l’attente interminable et la patience récompensée par un face à face extraordinaire dans la profondeur hyperboréenne !